La santé sous la coupe des franchises
Entrées en vigueur le 1er janvier 2008, les franchises médicales constituent la plus importante et la plus controversée des mesures prises par le nouveau gouvernement en matière de santé. D'application en apparence simple et indolore, elles se révèlent être un remède complexe à l'efficacité encore incertaine. Elles bousculent en tout cas le monde de la santé et obligent professionnels et patients à s'adapter.
Les franchises sont très courantes dans le domaine de l'assurance privée. Elles constituent une somme que devra toujours acquitter l'assuré en cas de sinistre même si son assurance prend en charge la majorité des réparations. Cette franchise est le plus souvent déduite du montant indemnisable par l'assurance au moment du remboursement. C'est exactement ce principe qui a été transposé à l'assurance maladie avec la mise en place des franchises médicales. Ce calque du modèle privé, Nicolas Sarkozy l'annonçait déjà le 27 juin 2006 à la Convention Santé de l'UMP : « Nous parlons d’assurance maladie… Y a-t-il une seule assurance sans franchise ? »
Il s'agit donc, avec les franchises médicales, de faire payer à l'assuré une somme sur chaque « sinistre », ici chaque acte médical, achat de médicament ou transport sanitaire que rembourse l'assurance santé. La mesure, très impopulaire, est justifiée par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot sur deux modes différents. Il s'agit avant tout de dégager 850 millions d'euros de recettes qui doivent servir à financer les chantiers de santé dont Nicolas Sarkozy a fait ses priorités : le plan Alzheimer, dévoilé le 21 septembre 2007, qui propose un plan d'action quinquennal contre la maladie neurodégénérative, mais aussi l'amélioration des soins palliatifs et la recherche contre le cancer. Mais l'objectif des franchises c'est aussi d'être « un élément indispensable de responsabilisation des patients » pour reprendre les mots de Mme la ministre. En clair : les franchises doivent amener à une réduction de la consommation française de médicaments, qui reste la plus élevée d'Europe.
Concrètement, la franchise médicale s'élève à 50 centimes d'euros par boîte de médicament et par acte paramédical, comme par exemple la kinésithérapie, les autres actes médicaux étant déjà soumis depuis 2005 à une participation forfaitaire par consultation. La franchise se chiffre à 2 euros par transport sanitaire : un aller-retour en ambulance est donc soumis à une franchise de 4 euros.
Cette franchise est plafonnée à un montant de 50 euros par an et par personne, au-delà duquel l'assuré n'est plus soumis à son paiement. Autre plafond : celui concernant les médicaments peu chers, comme les traitements homéopathiques, pour lesquels la franchise ne peut dépasser la somme remboursée par la Sécurité Sociale. Aussi, si la Sécurité Sociale ne rembourse que 40 centimes d'euros sur une boîte de médicament, la franchise ne sera pas de 50 centimes mais de 40.
Un certain nombre de catégories sont soumises à des exonérations de paiement de ces franchises. Les femmes enceintes, de 6 mois de grossesse à 12 jours après l'accouchement, sont exemptées de franchise. Il en va de même pour les titulaires de la CMU (Couverture Maladie Universelle) complémentaire (accordée sous condition de ressources n'excédant pas 606 euros par mois pour une personne) ainsi que pour les moins de 16 ans. De 16 à 18 ans, seules les boîtes de médicaments et les transports sanitaires sont soumis au paiement de la franchise. A noter que les médicaments achetés dans le cadre de l'automédication, et donc non-remboursés par la Sécurité Sociale, ne sont évidemment pas concernés par les franchises.
Pharmaciens et médecins en première ligne
Les pharmaciens se retrouvent naturellement au premier rang des concernés par le chamboulement des franchises médicales, puisqu'elles s'appliquent entre autres sur les médicaments qu'ils vendent aux clients. Et comme ils sont un des interlocuteurs privilégiés, ils doivent faire de la pédagogie à ce sujet. « On a beaucoup de clients qui veulent nous payer directement la franchise, à qui il faut expliquer que ce n'est pas comme cela que ça se passe » confie Jocelyne Wittevrongel, porte-parole de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques Français. Et pour cause puisque ce sont les Caisses d'Assurance Maladie qui se chargent de déduire les franchises des remboursements qu'elles effectuent.
S'il est encore trop tôt pour évaluer l'impact des franchises sur les ventes de médicaments, certains effets se font déjà sentir dans les officines. « Les gens veulent payer le moins de boîtes possible, du coup ils demandent des grands conditionnements, des boîtes pour trois mois, qui ne correspondent pas forcément à leur traitement. » explique Jocelyne Wittevrongel. Mais en règle générale, les pharmacies ne semblent pas trop touchées par ces franchises médicales. Elles redoutent beaucoup plus le moindre remboursement par la Sécurité Sociale des « vignettes oranges », les médicaments jugés comme rendant un service médical insuffisant, signalés par les petites pastilles oranges accolées sur leurs boîtes.
Les praticiens s'inquiètent également de ces franchises. Elles peuvent pourtant apparaître comme un alignement logique pour les kinésithérapeutes et autres auxiliaires médicaux, qui rejoignent ainsi les médecins déjà soumis au paiement forfaitaire à la charge du patient. Mais Christian Lehmann, médecin, écrivain et initiateur d'un appel contre les franchises dénonce une mesure qui va « à l'inverse d'une politique cohérente de santé publique ». Si les gros consommateurs de médicaments paieront de toutes façons le plafond annuel de la franchise, ce sont les « petits et moyens consommateurs que l'on cherche à dissuader de se faire soigner pour des maladies apparemment moins sévères - celles qui, non soignées, peuvent justement s’aggraver - et bien évidemment pour les actes de prévention que l’on croit toujours pouvoir reporter à plus tard. » Une crainte d'une moindre attention des patients à leur santé qui est partagée dans la profession.
Autre problème pour les généralistes, le risque d'être l'objet d'un certain nombre de prélèvements de franchises alors même qu'ils ne sont pas concernés par la mesure. En effet, la pharmacie et de nombreux actes spécialisés soumis à franchises sont généralement en tiers-payant, c'est à dire que tout est payé par l'assurance maladie obligatoire et complémentaire sans que le client n'ait à être remboursé. Les franchises ne peuvent donc être récupérées sur ces actes et vont devoir l'être sur d'autres actes médicaux sans tiers-payant. Le syndicat des Médecins Généralistes de France (MG France) dénonce : « Les médecins généralistes n'ont pas droit au tiers payant. Les malades doivent avancer l'argent des actes des médecins généralistes et c'est sur le remboursement de ces honoraires que doivent être récupérées les franchises. Voilà qui va faire croire que les actes des médecins généralistes sont moins remboursés et désinciter les patients à consulter leur généraliste, pourtant référent essentiel en terme de santé. »
Les mutuelles privées de remboursement
Les différents organismes de complémentaire santé sont également concernés par l'instauration des franchises médicales. Une question particulière s'est d'emblée posée : sera-t-il possible pour les mutuelles de prendre à leur charge les franchises médicales de leurs patients ? Après une âpre lutte avec le gouvernement, elles en obtenu le droit, mais à un prix tel qu'aucune d'entre elles ne le proposera. En effet, en cas de remboursement des franchises médicales, les mutuelles perdent les avantages fiscaux liés aux « contrats responsables ». Ces contrats sont plus contraignants en terme de suivi médical mais permettent en contrepartie aux assurés de bénéficier d'une meilleure couverture. La Mutualité explique que le remboursement « de la franchise se traduirait par une augmentation d'au moins 10%, voire 15% à 20%, du coût de la complémentaire. » Les franchises ne seront donc pas remboursées par les mutuelles et resteront à la seule charge des malades.
Car au final, ce sont bien les malades les premiers concernés par ces franchises médicales. Bruno Palier, chercheur au Centre d'Etudes de la Vie Politique Française (CEVIPOF), explique que « le principe de solidarité entre bien-portants et malades qui prévalait depuis 1945 est aujourd’hui mis à mal. Avec les franchises, ce sont les malades qui paient pour les malades. » Et le chercheur de remettre en cause le but officiel de lutte contre la maladie d'Alzheimer des franchises médicales : « Tout le monde sait que l'argent de l'ancienne vignette auto n'a pas vraiment financé la vieillesse, comme cela avait été avancé lors de sa création en 1956. » Quoiqu'il en soit, la somme de 850 millions d'euros que sont censées rapporter les franchises est bien moindre que celle perdue par la Sécurité Sociale dans la défiscalisation des heures supplémentaires. Le manque à gagner de cette mesure est estimé à 75 millions d'euros pour le seul premier mois. Un hiatus qui ne peut que laisser craindre une augmentation du plafond des franchises médicales dans les années à venir...
Les franchises sont très courantes dans le domaine de l'assurance privée. Elles constituent une somme que devra toujours acquitter l'assuré en cas de sinistre même si son assurance prend en charge la majorité des réparations. Cette franchise est le plus souvent déduite du montant indemnisable par l'assurance au moment du remboursement. C'est exactement ce principe qui a été transposé à l'assurance maladie avec la mise en place des franchises médicales. Ce calque du modèle privé, Nicolas Sarkozy l'annonçait déjà le 27 juin 2006 à la Convention Santé de l'UMP : « Nous parlons d’assurance maladie… Y a-t-il une seule assurance sans franchise ? »
Il s'agit donc, avec les franchises médicales, de faire payer à l'assuré une somme sur chaque « sinistre », ici chaque acte médical, achat de médicament ou transport sanitaire que rembourse l'assurance santé. La mesure, très impopulaire, est justifiée par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot sur deux modes différents. Il s'agit avant tout de dégager 850 millions d'euros de recettes qui doivent servir à financer les chantiers de santé dont Nicolas Sarkozy a fait ses priorités : le plan Alzheimer, dévoilé le 21 septembre 2007, qui propose un plan d'action quinquennal contre la maladie neurodégénérative, mais aussi l'amélioration des soins palliatifs et la recherche contre le cancer. Mais l'objectif des franchises c'est aussi d'être « un élément indispensable de responsabilisation des patients » pour reprendre les mots de Mme la ministre. En clair : les franchises doivent amener à une réduction de la consommation française de médicaments, qui reste la plus élevée d'Europe.
Concrètement, la franchise médicale s'élève à 50 centimes d'euros par boîte de médicament et par acte paramédical, comme par exemple la kinésithérapie, les autres actes médicaux étant déjà soumis depuis 2005 à une participation forfaitaire par consultation. La franchise se chiffre à 2 euros par transport sanitaire : un aller-retour en ambulance est donc soumis à une franchise de 4 euros.
Cette franchise est plafonnée à un montant de 50 euros par an et par personne, au-delà duquel l'assuré n'est plus soumis à son paiement. Autre plafond : celui concernant les médicaments peu chers, comme les traitements homéopathiques, pour lesquels la franchise ne peut dépasser la somme remboursée par la Sécurité Sociale. Aussi, si la Sécurité Sociale ne rembourse que 40 centimes d'euros sur une boîte de médicament, la franchise ne sera pas de 50 centimes mais de 40.
Un certain nombre de catégories sont soumises à des exonérations de paiement de ces franchises. Les femmes enceintes, de 6 mois de grossesse à 12 jours après l'accouchement, sont exemptées de franchise. Il en va de même pour les titulaires de la CMU (Couverture Maladie Universelle) complémentaire (accordée sous condition de ressources n'excédant pas 606 euros par mois pour une personne) ainsi que pour les moins de 16 ans. De 16 à 18 ans, seules les boîtes de médicaments et les transports sanitaires sont soumis au paiement de la franchise. A noter que les médicaments achetés dans le cadre de l'automédication, et donc non-remboursés par la Sécurité Sociale, ne sont évidemment pas concernés par les franchises.
Pharmaciens et médecins en première ligne
Les pharmaciens se retrouvent naturellement au premier rang des concernés par le chamboulement des franchises médicales, puisqu'elles s'appliquent entre autres sur les médicaments qu'ils vendent aux clients. Et comme ils sont un des interlocuteurs privilégiés, ils doivent faire de la pédagogie à ce sujet. « On a beaucoup de clients qui veulent nous payer directement la franchise, à qui il faut expliquer que ce n'est pas comme cela que ça se passe » confie Jocelyne Wittevrongel, porte-parole de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques Français. Et pour cause puisque ce sont les Caisses d'Assurance Maladie qui se chargent de déduire les franchises des remboursements qu'elles effectuent.
S'il est encore trop tôt pour évaluer l'impact des franchises sur les ventes de médicaments, certains effets se font déjà sentir dans les officines. « Les gens veulent payer le moins de boîtes possible, du coup ils demandent des grands conditionnements, des boîtes pour trois mois, qui ne correspondent pas forcément à leur traitement. » explique Jocelyne Wittevrongel. Mais en règle générale, les pharmacies ne semblent pas trop touchées par ces franchises médicales. Elles redoutent beaucoup plus le moindre remboursement par la Sécurité Sociale des « vignettes oranges », les médicaments jugés comme rendant un service médical insuffisant, signalés par les petites pastilles oranges accolées sur leurs boîtes.
Les praticiens s'inquiètent également de ces franchises. Elles peuvent pourtant apparaître comme un alignement logique pour les kinésithérapeutes et autres auxiliaires médicaux, qui rejoignent ainsi les médecins déjà soumis au paiement forfaitaire à la charge du patient. Mais Christian Lehmann, médecin, écrivain et initiateur d'un appel contre les franchises dénonce une mesure qui va « à l'inverse d'une politique cohérente de santé publique ». Si les gros consommateurs de médicaments paieront de toutes façons le plafond annuel de la franchise, ce sont les « petits et moyens consommateurs que l'on cherche à dissuader de se faire soigner pour des maladies apparemment moins sévères - celles qui, non soignées, peuvent justement s’aggraver - et bien évidemment pour les actes de prévention que l’on croit toujours pouvoir reporter à plus tard. » Une crainte d'une moindre attention des patients à leur santé qui est partagée dans la profession.
Autre problème pour les généralistes, le risque d'être l'objet d'un certain nombre de prélèvements de franchises alors même qu'ils ne sont pas concernés par la mesure. En effet, la pharmacie et de nombreux actes spécialisés soumis à franchises sont généralement en tiers-payant, c'est à dire que tout est payé par l'assurance maladie obligatoire et complémentaire sans que le client n'ait à être remboursé. Les franchises ne peuvent donc être récupérées sur ces actes et vont devoir l'être sur d'autres actes médicaux sans tiers-payant. Le syndicat des Médecins Généralistes de France (MG France) dénonce : « Les médecins généralistes n'ont pas droit au tiers payant. Les malades doivent avancer l'argent des actes des médecins généralistes et c'est sur le remboursement de ces honoraires que doivent être récupérées les franchises. Voilà qui va faire croire que les actes des médecins généralistes sont moins remboursés et désinciter les patients à consulter leur généraliste, pourtant référent essentiel en terme de santé. »
Les mutuelles privées de remboursement
Les différents organismes de complémentaire santé sont également concernés par l'instauration des franchises médicales. Une question particulière s'est d'emblée posée : sera-t-il possible pour les mutuelles de prendre à leur charge les franchises médicales de leurs patients ? Après une âpre lutte avec le gouvernement, elles en obtenu le droit, mais à un prix tel qu'aucune d'entre elles ne le proposera. En effet, en cas de remboursement des franchises médicales, les mutuelles perdent les avantages fiscaux liés aux « contrats responsables ». Ces contrats sont plus contraignants en terme de suivi médical mais permettent en contrepartie aux assurés de bénéficier d'une meilleure couverture. La Mutualité explique que le remboursement « de la franchise se traduirait par une augmentation d'au moins 10%, voire 15% à 20%, du coût de la complémentaire. » Les franchises ne seront donc pas remboursées par les mutuelles et resteront à la seule charge des malades.
Car au final, ce sont bien les malades les premiers concernés par ces franchises médicales. Bruno Palier, chercheur au Centre d'Etudes de la Vie Politique Française (CEVIPOF), explique que « le principe de solidarité entre bien-portants et malades qui prévalait depuis 1945 est aujourd’hui mis à mal. Avec les franchises, ce sont les malades qui paient pour les malades. » Et le chercheur de remettre en cause le but officiel de lutte contre la maladie d'Alzheimer des franchises médicales : « Tout le monde sait que l'argent de l'ancienne vignette auto n'a pas vraiment financé la vieillesse, comme cela avait été avancé lors de sa création en 1956. » Quoiqu'il en soit, la somme de 850 millions d'euros que sont censées rapporter les franchises est bien moindre que celle perdue par la Sécurité Sociale dans la défiscalisation des heures supplémentaires. Le manque à gagner de cette mesure est estimé à 75 millions d'euros pour le seul premier mois. Un hiatus qui ne peut que laisser craindre une augmentation du plafond des franchises médicales dans les années à venir...