Sang d'encre

Publié le par Louis

1285881yy.jpgLe week-end dernier, j'ai eu l'occasion de visiter l'exposition temporaire "Allemagne, les années noires", qui se tient actuellement et jusqu'au 4 février prochain au musée Maillol, à Paris. Présentant essentiellement des gravures et des dessins, l'expostion se propose d'evoquer les périodes troubles de la Première Guerre Mondiale et de la République de Weimar à travers le regard d'artistes tels qu'Otto Dix, George Grosz ou Max Beckmann. On n'en ressort, évidemment, pas indemne.

La première salle se concentre sur la guerre, avec notamment  de saisissantes eaux-fortes de Dix. Le trait est dur, les visages monstrueux, les morts se distinguant mal des vivants. La bichromie noir et blanc des dessins crée autant de jeux de contraste qui viennent amplifier l'impression très âpre que laissent ces évocations du sang, de la fange et de la merde.  Intéressante collection de cartes postales de l'artiste, qui, pour échapper à la censure,  dessinait de façon très sommaire ce qu'il voyait à ses proches.

Les dessins de George Grosz sont plus ronds mais tout aussi horribles. Parfois, on confine même à la bande dessinée, et je n'ai pu m'empêcher de songer aux travaux de Tardi (qui a très certainement vu les oeuvres de ces artistes allemands de l'entre-deux-guerres) sur le premier conflit mondial. Beckmann déroute, bouscule les perspectives, multiplie les angles improbables, aigüs, abrupts : face à ses oeuvres, on se penche souvent, on avance, on recule, on plisse les yeux, ce qui rend le trouble de l'artiste encore plus sensisble.

dix.jpgAu milieu de la salle, quelques affiches de propagande de l'époque, bien entendu lisses et héroïques, offrent un contraste qui donne encore plus de vigueur aux oeuvres présentées. En bout de salle, on passe de la guerre à la ville, dont sont offertes quelques représentations torturées : la ville est un espace de conflit, de promiscuité, d'oppression, d'avilissement. Le style est similaire à celui utilisé pour évoquer la guerre, et l'on comprend  d'ores et déjà l'importance que prend l'expérience du conflit dans la vision des artistes allemands d'après-guerre, avec en germe l'expressionisme.

A l'étage, les oeuvres dressent un tableau de la République de Weimar, en différents thèmes. D'abord les séquelles de la guerre : les mutilés qui mendient dans la rue, les gueules-cassées que l'on parque dans des sanatoriums pour ne pas les montrer (jusqu'à ce que le pacifiste Ernst Friedrich les montre dans un livre de photos internationaliste -il est écrit en quatre langues- en 1924)... Des rues où règnent aussi les prostituées, et où se multiplient les crimes sordides, là encore dans des évocations très crues de corps mutilés.

allemagneok.jpgDes rues agitées enfin, où se montent des coups d'état à n'en plus finir, où les milices et les orateurs de brasserie tiennent le haut du pavé. Grosz s'engage au KPD (parti communiste allemand) et livre des oeuvres plus engagées, notamment une série d'illustrations actualisées -avec capitalistes oppresseurs sur fond d'usines de brique- des Brigands de Schiller. Et tout comme je m'étais souvenu, dans la première salle, d'une exposition consacré à Dix que j'avais vue il y a près de dix ans à la fondation Maeght, je me suis remémoré la très bonne exposition du musée d'art moderne de Strasbourg d'il y a deux ans, dédiée à John Heartfield, un des pères du photomontage et qui a notamment réalisé au début des années 30 les couvertures d'AIZ, le journal du KPD. Le même style d'avant-garde, la même révolte, la même ingéniosité.

Au final, l'exposition secoue, bouleverse et est particulièrement riche des oeuvres qu'elle présente. On regrettera cependant que les explications se focalisent sur la dimension  historique et non sur le destin des artistes eux-mêmes ou sur des commentaires purement artistiques. En substance, on n'apprend pas grand chose de ces cartons. Mais c'est là bien peu de chose, tant les oeuvres, elles, sont éloquentes.

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